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Le Mexique fête ses morts dans la joie
Au
Mexique, la fête des morts est une sorte de carnaval où la mort n’est
pas l’adversaire de l’homme mais son partenaire de jeu. Sans crainte ni
tristesse, le Mexicain s’en amuse avec une délicieuse ironie, beaucoup
d’humour et de sarcasmes. Chaque village a ses traditions et même les
cimetières des grandes villes comme ceux de Mexico ou de Guadalajara,
retrouvent à cette occasion les traditions rurales. Les fêtes de la
Toussaint sont en effet l’occasion pour les habitants de ces grandes
villes de retrouver leurs racines.
De notre correspondant au Mexique, Patrice Gouy
A
80 km de Mexico, Tlayacapan a su conserver ses racines indiennes et
coloniales sans tomber dans l'exotisme bon marché. Cette charmante
bourgade dans l’Etat du Morelos, dégage une atmosphère très
particulière, magique, qui tient sans doute au mélange harmonieux de
l’architecture coloniale et vernaculaire qui s'organise autour d’un
immense couvent -forteresse du XVIe siècle. Au Mexique, les ordres
religieux, Jésuites et Dominicains, ont inventé le style baroque.
Intelligemment, ils ont souvent laissé libre cours aux fantaisies des
artistes indigènes pour marier christianisme et croyances locales :
l'Ancien et le Nouveau Monde s'associant alors pour poser chacune des
pierres de ces édifices. Certains parlent d'art métis.
Tradition et syncrétisme
A
Tlayacapan, la présence indienne s'exprime encore dans les traditions,
en particulier au cours des cérémonies de la fête des morts dans la
nuit du 1er au 2 novembre. Tlayacapan, qui signifie en
langue indigène « le nez de la terre », possédait son rituel funèbre
bien avant l'arrivée des Espagnols. Le village a été construit sur une
ancienne cité aztèque, les 21 pyramides ont été détruites par les
Espagnols et remplacées par 21 chapelles baroques, chacune ayant ses
saints catholiques qui ne sont, en réalité, que les substituts des
dieux païens. Avec l'évangélisation, les croyances, les dieux, les
temples indigènes, estimés alors idolâtres, furent détruits mais le
culte des morts, qui ressemblait au fond à celui de la religion
catholique, s'est perpétué. Indigènes et religieux ont conservé
l'illumination et la décoration des tombes ainsi que les offrandes de
nourriture qui constituent une sorte de communion.
On passe la nuit au cimetière
La fête des Morts est l’occasion de resserrer, autour des ancêtres disparus, les liens de la communauté. C’est pourquoi le 1er
novembre, tout le village se rend au cimetière pour nettoyer les tombes
et préparer les offrandes. On manie le pinceau, sans craindre
l’utilisation de toute la palette des couleurs pour que tout soit prêt
la nuit pour la grande cérémonie. Chacun vient alors avec ses
offrandes, allume les bougies. Les mères installent sur la pierre
tombale les plats préférés des défunts : mole au chocolat, pozoles,
tamales et enchiladas. On s’invite d’une tombe à l’autre. On y boit
beaucoup de tequila et de mezcal, on s’interpelle, on se réconcilie, on
s’aime, jusqu’au petit jour. Les tombes croulent sous les brassées de
fleurs : crêtes-de-coq rouges et cempasuchils, des fleurs orange qui
ressemblent à des zinnias et qui étaient considérées, au temps du
Mexique préhispanique, comme la fleur des âmes mortes.
Des têtes de mort à peindre sont vendues pour les enfants.
(Photo : Patrice Gouy)
La mort qui se mange
Sous
les arcades qui bordent la place du village, les boulangeries et les
pâtisseries proposent le traditionnel pain des morts, de délicieuses
brioches sucrées en forme d'angelots, mais surtout, bien alignés, des
crânes ou des squelettes en sucre, des cercueils et des cadavres en
chocolat qui font la joie des enfants. La tradition veut que l'on
offre, à ceux que l'on aime, une tête de mort avec leur nom gravé sur
le front ou... un petit cercueil ! Le prix Nobel de littérature Octavio
Paz, dans « Le labyrinthe de la solitude », explique que «
l'indifférence du Mexicain devant la mort se nourrit de son
indifférence devant la vie. Ses chansons, ses fêtes, la sagesse
populaire montrent sans équivoque que la mort ne l'effraie pas parce
que la vie semble l'avoir guéri de la peur ».
La mort en musique
Les
festivités s'accompagnent d’un festival de bandas de toutes les régions
du Mexique. Il s’agit d’ensemble à vent et cuivres, qui jouent les
grands airs ou les chansons traditionnelles. Le festival est ouvert par
la banda Santamaria de Tlayacapan qui se rend au cimetière. Réunis
autour de la tombe de Brigido Santamaria, le fondateur de cet ensemble
d’agriculteur-musiciens plus que centenaire, tous ses descendants lui
rendent un hommage qui se termine invariablement par la Marche triste
de Berlioz.
Dans tout le village, on est sous le charme, dans
une sorte de merveilleux solennel : sur les tombes se dressent les
couronnes de fleurs, des bougies tapissent le sol, avec, aux quatre
coins, des cierges blancs entourés de papier huilé, comme des cornets
de fleurs, pour éviter que le vent ne les éteigne. Devant chaque maison
est dessiné un chemin de pétales orange qui mène au cimetière afin de
guider les âmes des défunts.